
Photo de Claude Dussez
Marie-Madeleine : pouvez-vous vous présenter brièvement et décrire votre lien avec Verbier et la région ?
Je suis née et j’ai grandi dans le Val de Bagnes où mes parents ont choisi de s’installer en 1954. Mon père avait créé avec deux associés une entreprise d’électricité à Verbier : Baillifard, Fellay et Gabioud, devenue Baillifard et Veuthey. Ma mère institutrice y a aussi enseigné quelques années. Bien plus tard, alors que nous étions en Chine avec mon mari Jean-Philippe Jutzi, où il était en poste comme conseiller diplomatique, nous avons acheté un appartement dans la station. Lorsqu’en 2020 nous avons dû quitter Pékin en pleine épidémie de covid, nous avons décidé de nous y installer.
Comment est née l’idée des Chroniques de Verbier et quel a été le déclic vous donnant envie de raconter Verbier autrement qu’à travers une simple chronologie historique ?
L’idée de ce livre m’a été suggérée par André Guinnard, agent immobilier à Verbier. Après avoir constaté que le dernier ouvrage retraçant la longue histoire de la station datait de 1986, je me suis dit qu’il y avait effectivement une lacune à combler. Si j’ai choisi de conter Verbier de façon essentiellement thématique, c’est afin d’offrir une lecture à entrées multiples, fragmentée et donc plus digeste qu’un ouvrage au long cours. L’intérêt de ce découpage : chacun peut y entrer selon ses envies et s’y attarder selon ses intérêts. Une lecture rapide peut aussi se faire au gré des quelque 250 illustrations qui émaillent les pages.
Le livre mêle mémoire, anecdotes, histoire locale et rigueur documentaire. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre ces différentes dimensions ?
Cette façon de faire s’est imposée assez naturellement. Mon expérience de journaliste n’y est pas étrangère. J’ai rapidement songé à établir un équilibre entre les nombreux témoignages recueillis, les anecdotes livrées et le récit à proprement parler, afin de varier les plaisirs. Toujours dans ce même souci d’alléger la lecture et même de faire sourire. Le premier chapitre est rédigé en forme d’« AVerbiercédaire » qui recense de A à Z de nombreuses histoires du passé lointain. Le livre se referme sur les projets futurs ainsi que sur deux portfolios proposés aux photographes Melody Sky – qui signe aussi la photo de la jaquette du livre – et Sébastien Albert.
À quoi a ressemblé le travail de recherche ? Y a-t-il des archives, témoignages ou découvertes qui vous ont particulièrement marqués ?
Ce fut un travail de longue haleine, qui a commencé par de nombreuses lectures d’ouvrages traitant de la vallée et notamment de Verbier. Il s’est étoffé par des recherches dans les archives de la commune et du canton, des consultations d’articles anciens parus dans divers quotidiens et magazines valaisans. A ce travail de documentation « froide » sont venus s’ajouter les nombreux témoignages glanés, une centaine en tout. J’ai souvent été touchée par la générosité des personnes qui ont accepté de fouiller leur mémoire et leurs albums photos pour les besoins de ce livre ; je leur en suis très reconnaissante. Sans eux, ce livre n’aurait pas le même souffle. J’ai aussi été étonnée par le foisonnement de projets que la station a inspirés et qui sont restés lettre morte, tel le projet Meili qui remonte à 1945 qui envisageait de créer une station climatique (comprenant établissements de cure et de repos) et sportive.
L’APCAV apparaît à plusieurs reprises dans les Chroniques de Verbier. Qu’est-ce qui vous a semblé important de mettre en avant concernant le rôle de l’association et celui des propriétaires dans l’évolution de Verbier ?
A plusieurs reprises, Verbier a joué un rôle de pionnier et l’APCAV en est l’un des exemples. Créée en avril 1968, cette association visant à rapprocher des communautés était une réelle innovation en matière de développement. Par ailleurs, animée par un désir de faire encore mieux société, sa présidente Brigitte Borel a entre autres objectifs d’orchestrer à l’avenir davantage d’événements conviviaux susceptibles de favoriser la perméabilité des contacts et des échanges. Des actions à saluer.
Parmi les 304 pages richement illustrées, y a-t-il des passages, anecdotes ou images que vous souhaiteriez mettre en lumière ?
Il m’est difficile de mettre en avant certains passages ou illustrations plus que d’autres. Reste qu’il me tient à cœur de saluer le travail remarquable des graphistes de l’agence Irrésistible de Paris sans qui cet ouvrage ne serait pas aussi élégant, ainsi que l’apport précieux des nombreux photographes.
Votre ouvrage rend hommage aux artisans de l’ascension de Verbier. Quelles valeurs communes ou traits de caractère ressortent de ces pionniers selon vous ?
Ils ont su rêver Verbier en grand, jouer les visionnaires, oser emprunter des chemins qui paraissaient ardus, voire risqués et braver des vents contraires qui auraient pu en amener plus d’un à jeter l’éponge. Sans ces pionniers et ceux qui ont adhéré à leurs aspirations par la suite, Verbier n’aurait pas le même visage.
Quelles clés de compréhension souhaitez-vous offrir aux lecteurs pour saisir l’évolution de Verbier ?
J’aime à penser qu’on ne peut regarder vers l’avenir sans se nourrir du passé, père trop souvent oublié du présent, voilà pourquoi j’ai entrepris cette démarche. Par ailleurs, avec le temps, on a tendance à oublier à quel point Verbier a été un laboratoire d’innovations en tous genres. Si la nostalgie d’une certaine époque peut être de mise, il ne faut pas oublier que pour avancer, il faut accepter certaines métamorphoses. Se figer c’est mourir. Bien sûr il y aura des écueils à surmonter, des travers à éviter tel celui qui ferait de Verbier une oasis pour nantis.
Comment imaginez-vous l’avenir de la station ? Quels aspects méritent d’être préservés ou transmis ?
Prévoir l’avenir est toujours un exercice périlleux. J’ai confiance en toutes les bonnes énergies qui tendent à faire de Verbier une station quatre saisons. Pourquoi autant d’optimisme ? Notamment parce que les propos que Marcus Bratter, qui nous a malheureusement quittés bien trop tôt, ont su trouver une résonnance en moi : « Verbier est un animal qui a le pouvoir de s’adapter à son environnement. Il suffit de regarder en arrière pour constater à quel point la vie s’y est transformée rapidement. » A bon entendeur…
Note
Les Chroniques de Verbier ont été publiées en deux langues. La version anglaise a été traduite et adaptée par Kerry-Jane Lowery, photographe, auteure, éditrice de livres et de magazines. Double nationale suissesse et britannique, elle est à Verbier comme chez elle.
Interview réalisée par Désirée Borel, novembre 2025
