Qu’est-ce que la valeur locative et sera-t-elle amenée à disparaitre ?

Brigitte Borel, Présidente de l’APCAV

Chaque mois, nous analysons une thématique actuelle liée à la propriété comportant des enjeux significatifs et de potentielles modifications. Aujourd’hui, la Présidente de l’APCAV, Brigitte Borel, prend la plume pour vous parler de la valeur locative, de sa fonction et son éventuelle abrogation. Bonne lecture !

Le système actuel de la valeur locative

En Suisse, un bien immobilier à usage propre n’est pas uniquement assujetti à l’impôt sur la fortune. Il existe de plus une imposition sur le revenu, même si le bien n’est pas loué à des tiers. Il s’agit du système de valeur locative, lequel s’inscrit dans le système fiscal solidaire de la Suisse.

La valeur locative vise à instaurer un équilibre entre les locataires et les propriétaires. En effet, ces derniers jouissent d’une situation fiscale plus favorable du fait qu’ils sont en droit de déduire les intérêts hypothécaires de leurs revenus, de même que les frais d’entretien qui garantissent le maintien de la valeur de leur bien, entre autres. Afin de permettre cet équilibre, la valeur locative a été introduite en tant que revenu fictif sur les logements en propriété à usage propre, lequel vient s’ajouter au revenu imposable des contribuables. Il s’applique aussi bien aux propriétaires de résidences principales que de résidences secondaires et correspond à environ 60 à 70% du montant qu’un propriétaire percevrait s’il mettait son logement en location au lieu de l’utiliser pour compte propre. Les propriétaires paient ainsi des impôts sur un revenu locatif potentiel. A noter que la méthode de calcul diffère fortement d’un canton à l’autre. En Valais, la valeur retenue est de 60%.

Débats sur la valeur locative : vers une abrogation ?

La suppression de la valeur locative, très controversée, est débattue depuis plusieurs années. Evoquée depuis les années 1990, elle revient sur le devant de la scène en 2017 avec un projet de loi élaboré par la Commission économique du Conseil des Etats (CER -E) qui propose de supprimer la valeur locative pour les résidences principales uniquement. Les déductions pour les mesures d’économie d’énergie et de protection de l’environnement devaient toutefois être maintenues, tout comme la déduction des intérêts hypothécaires pour l’acquisition d’un premier logement. Suite à un préavis négatif des cantons, le processus politique s’est poursuivi avec plusieurs révisions du projet, lequel a en dernier lieu été renvoyé à la Commission CER -E avec pour mandat un changement complet de système. Il s’agirait selon les derniers développements d’aboutir à une abrogation générale de la valeur locative, également pour les résidences secondaires. Les intérêts passifs ne pourraient être déduits que dans le cas où des loyers sont réellement perçus. Un projet de loi adapté en conséquence devrait être présenté d’ici l’été 2023 mais son adoption reste incertaine et pourrait encore prendre du temps.

Photo : Verbier Tourisme

Les déductions fiscales et impôts actuels avec un bien immobilier

Pour revenir au système actuel, signalons que même si la valeur locative entraine une charge fiscale plus élevée, les propriétaires bénéficient dans le même temps de nombreuses possibilités de déductions fiscales en lien avec leur bien immobilier. Outre les intérêts hypothécaires et les frais d’entretien, ils peuvent également déclarer les primes d’assurance concernant leur bien, les frais de gestion ainsi que les versements effectués dans le fonds de rénovation. En tant qu’alternative aux frais d’entretien, il est possible d’appliquer une déduction forfaitaire.

Le montant des impôts dont les propriétaires doivent s’acquitter dans le système actuel dépend du montant des intérêts hypothécaires ainsi que du montant de la dette hypothécaire et des revenus. Le modèle actuel récompense un endettement plus élevé et incite dès lors à ne pas amortir ses hypothèques.

Photo : Verbier Tourisme

Quelles conséquences en cas de suppression de la valeur locative ?

Les effets d’une abolition de la valeur locative dépendent fortement du niveau des taux d’intérêt hypothécaires. En cas de changement de système, qui plus est dans le contexte actuel d’augmentation des taux, les propriétaires seraient tentés de rembourser une part plus élevée de leur dette car les incitations fiscales d’un endettement disparaîtraient.

Les propriétaires qui profiteraient le plus d’un changement de système seraient donc ceux qui ont le moins recours à l’endettement ou qui ont le plus amorti leur hypothèque, de même que ceux qui investissent peu dans l’entretien de leur bien. Cela serait profitable à de nombreux retraités pour lesquels les revenus baissent à la retraite alors que la valeur locative reste inchangée et devient souvent une part importante de leurs revenus.

Les effets dépendront également de l’âge du bien immobilier. En effet, plus les biens avancent en âge et plus les frais d’entretien deviennent importants, d’où l’intérêt de pouvoir les déduire selon le système actuel. Si cette possibilité venait à disparaître, l’incitation à maintenir la valeur des biens immobiliers deviendrait moindre, ce qui pourrait mener à accroitre les écarts de prix entre l’immobilier neuf et ancien.

Conclusion

A la lumière de ces éléments, on constate que les modalités d’un changement de système auront des effets directs et indirects autant sur les particuliers propriétaires immobiliers, que sur les recettes fiscales ou encore sur le marché immobilier. Les débats continueront probablement d’être animés avant d’aboutir à un consensus.

Sources et autres liens :