Réflexions sur la hausse des taux d’intérêts et impacts pour vos hypothèques

Photo : Pixabay Oleksandr Pidvalnyi

 

En moins d’une année, nous sommes abruptement passés d’un environnement de taux d’intérêts négatifs à un environnement de taux positifs. En Suisse, la Banque nationale suisse (BNS) a amorcé la hausse en juin 2022 en relevant son taux directeur de 50 points de base, passant ainsi de – 0.75% à   – 0.25%. Le taux est actuellement, en juin 2023, à 1.5% et de nouvelles hausses sont envisagées.

De nombreux propriétaires ayant eu recours à de l’emprunt hypothécaire et faisant face à des échéances se demandent ce qu’il y a lieu de faire : rembourser si on en a la possibilité? renouveler? Si oui, en SARON (Swiss Average Rate Overnight) ou avec des taux fixes? Pour combien de temps? Ce type de questions se pose également pour les personnes souhaitant faire une acquisition immobilière.

Dans cet article, je reviendrai sur les causes à l’origine de cette récente évolution et donnerai quelques pistes de réflexion afin de vous permettre de répondre aux questions ci-dessus, sachant que toute décision devrait être prise à l’aune de votre situation spécifique.

Article rédigé par Brigitte Borel, Présidente de l’Association des Propriétaires de Chalets et d’Appartements de Verbier et région.

Brigitte Borel, Présidente de l’APCAV

Origine de la hausse des taux

Il y a beaucoup à dire sur le sujet. Principalement, la hausse des taux par les banques centrales, que ce soit la Réserve fédérale américaine (Fed), la Banque centrale européenne (BCE) ou la BNS, est due à l’inflation. Apparue en 2021, on disait à l’époque qu’elle serait transitoire, ce qui s’est avéré ne pas être le cas. Hausser les taux est un des principaux outils à disposition des banques centrales, garantes de la stabilité monétaire, afin de juguler l’inflation. D’où vient cette inflation? Elle est induite par deux composantes qui influencent les prix : l’offre et la demande. Du côté de l’offre, on peut invoquer les problèmes des chaines logistiques durant la crise du Covid ainsi que la hausse des coûts de l’énergie suite à la survenance de la guerre en Ukraine. Ce sont pourtant les actions antérieures de ces mêmes banques centrales aux USA et en Europe qui ont favorisé la hausse des prix depuis 2021. Elles n’ont eu de cesse depuis des années, et plus particulièrement durant la période Covid, de créer de la monnaie afin de soutenir l’économie. C’est ce qu’on appelle l’assouplissement quantitatif (ou QI pour quantitative easing). Boostés par ces mesures, les marchés financiers, contre toute attente, affichent une progression insolente jusqu’à fin 2021 mais cela ne pouvait pas durer. Agissant sur la composante demande de l’inflation, la création monétaire gargantuesque ainsi que le crédit bon marché finissent par créer un déséquilibre conduisant à de l’inflation. Il faut alors agir vite et fort, car la stabilité des prix est une condition essentielle à la croissance et à la prospérité. Elle est aussi essentielle à la confiance dans la monnaie fiduciaire car, mis à part au Zimbabwe, cette dernière n’a plus de valeur intrinsèque suite à la décision des USA en 1971 de mettre fin à la convertibilité entre le dollar (USD) et l’or. En Suisse, l’étalon or a été définitivement abandonné en 1973. A noter que si la population devait perdre confiance en sa monnaie, cela pourrait conduire à de l’hyperinflation. L’Allemagne avait dû faire face à ce phénomène à la fin de la première guerre mondiale suite à un excès de production monétaire et à une offre peu élastique liée à des pénuries.

Les banques centrales ouvrent donc leur boîte à outils et augmentent les taux pour refroidir l’économie. La Fed a augmenté ses taux à 10 reprises depuis mars 2022 faisant grimper le taux directeur dans une fourchette de 5% à 5.25% en mars 2023, soit le niveau le plus élevé depuis 2006. La BCE a relevé ses taux à une fourchette entre 3.25% et 4% et la Banque d’Angleterre à 4.5%. La BNS a suivi, bien que dans une moindre mesure du fait que l’inflation en Suisse demeure à un niveau qu’on peut qualifier de raisonnable même s’il se situe au-delà de la plage de stabilité des prix comprise entre 0 et 2%.

Le double effet Kiss Cool de la politique monétaire de la Fed

Les décisions de la banque centrale américaine ont produit des effets qui vont au-delà des facteurs sur lesquels elle souhaitait opérer, actuellement l’inflation. Une des conséquences de l’augmentation récentes des taux a été leur impact sur le marché des obligations. Lorsque les taux augmentent, le prix des obligations diminue. Pourquoi? Car les investisseurs préfèrent se retourner vers de nouvelles obligations émises à taux plus élevés ce qui fait diminuer la valeur des obligations existantes. La SVB (Silicon Valley Bank) aux USA en a fait les frais, elle qui avait largement investi avec l’argent de ses déposants dans des obligations de longue durée. Compte tenu de la hausse des taux, elle a dû faire face à la fois à des retraits de ses déposants – une large majorité étant des start-ups impactées elles aussi par la hausse des taux – et à une baisse des actifs dans son bilan, due à la diminution de valeur des obligations. Même si on peut mettre en question la pertinence de la part de la SVB d’avoir investi dans ce type de placements à long terme, il n’en demeure pas moins que la hausse des taux est à l’origine de cette débâcle laquelle n’avait pas été anticipée par la Fed qui a depuis volé au secours de la SVB. D’autres banques ont dans le même temps fait faillite aux USA et une crise bancaire mondiale s’en est suivie. Les banques centrales et les Etats ayant démontré leur détermination à soutenir à tout prix le secteur bancaire afin de rétablir la confiance, on peut espérer que la crise bancaire est jugulée. Pour certains analystes, cela laisse présager la fin prochaine du cycle de hausse des taux. En effet, les banques, si elles veulent se montrer prudentes, devront assainir leur bilan. Elles prêteront moins ce qui sera en soi un facteur de ralentissement de l’économie, au même titre que l’est la hausse des taux.

Toujours plus de complexité

A noter que même si pris individuellement les mécanismes sous-jacents de l’inflation sont simples à comprendre, la quantité de variables impliquées et leur conjugaison résulte en un système complexe, rendu d’autant plus difficile à analyser que nous vivons actuellement une période de transition à plusieurs égards. Le réchauffement climatique est un facteur inflationniste. Il induira une augmentation du prix des denrées alimentaires, entre autres. Les avancées technologiques, en particulier l’émergence de l’intelligence artificielle, peuvent s’avérer une force déflationniste en garantissant des gains de productivité. Des facteurs géopolitiques, avec de nouveaux équilibres mondiaux et de nouvelles alliances, ainsi que des facteurs démographiques auront également un impact sur l’inflation. Ces facteurs et leur évolution sont pris en compte par la BNS dans la détermination de sa politique monétaire.

Le cas de la Suisse

Grâce aux décisions de la BNS qui a encouragé une appréciation du franc sur les marchés, l’inflation a pu être maîtrisée en Suisse. Du fait que nous sommes une petite économie ouverte sur l’extérieur, la BNS est intervenue sur le marché des changes pour atteindre ses objectifs. Le fait de maintenir une monnaie forte constitue en effet un frein à l’importation de l’inflation. Outre sa stabilité monétaire, la Suisse bénéficie par ailleurs de sa stabilité politique ainsi que de la sécurité procurée par son cadre juridique et fiscal.

Quelles perspectives pour les taux, en particulier hypothécaires

Personne n’est en mesure de prévoir avec exactitude comment les choses évolueront. L’hypothèse la plus communément admise est que de nouvelles hausses limitées sont à prévoir pour 2023, puis que les taux pourraient redescendre à partir de 2024. En Suisse, dans la mesure où notre économie domestique continue de bien se porter et où notre inflation demeure maîtrisée, cela devrait être le cas.

Dans ce contexte, que faire si on doit renouveler une hypothèque ou en conclure une nouvelle ?

Les hypothèques fixes

Les taux d’intérêt hypothécaires fixes en Suisse ayant intégré depuis un certain temps déjà les anticipations de hausse de taux de la BNS, il n’y a pas d’augmentations importantes à prévoir. Au vu des derniers événements, des baisses seraient possibles en 2024, sachant que nous avons pu constater ces derniers mois des variations substantielles des taux d’intérêt hypothécaires d’un jour à l’autre. A noter que, malgré leur hausse récente, les taux fixes restent historiquement bas. Ils présentent l’avantage, en étant bloqués, de pouvoir être budgétisés de façon certaine, ce qui peut être rassurant pour qui souhaite planifier ses dépenses. Les hypothèques en Suisse peuvent être conclues pour des périodes allant en principe de 1 à 15 ans, voire 25 ans avec certains prestataires. Elles peuvent être renouvelées bien que pas systématiquement. En cas de dénonciation anticipée de votre crédit hypothécaire, si vous décidez de vendre votre bien immobilier par exemple, une pénalité peut être due, laquelle pourra être déduite du gain en capital pour la détermination de l’impôt. Si vous avez toutefois la chance d’avoir conclu une hypothèque durant la période de taux négatifs, vous pourrez envisager de la transmettre sous certaines conditions à l’acheteur de votre bien, ce qui peut représenter un atout pour la vente.

Les hypothèques SARON

Alternativement, vous pouvez opter pour une hypothèque SARON. Le taux que vous payerez est constitué du taux SARON, à savoir 1.44% au moment où j’écris cet article (https://www.snb.ch/fr/iabout/stat/statrep/id/current_interest_exchange_rates#t2) augmenté d’une marge fixe convenue avec la banque. Le SARON est un taux d’intérêt pour les prêts au jour le jour. Il suit de près le taux directeur de la BNS. Si vous concluez une telle hypothèque, vous pourrez choisir entre différentes périodes de décompte, allant de 1 à 3 mois. Vous ne connaitrez le taux d’intérêt payé qu’à la fin de la période de décompte. Cette forme d’hypothèque du marché monétaire présente l’avantage qu’en principe elle bénéficie des taux à court terme qui sont inférieurs au taux à long terme. L’inconvénient est principalement l’incertitude liée à l’évolution des taux et le fait que le taux effectif n’est connu qu’à la fin de la période de décompte. A savoir que l’hypothèque SARON peut en tout temps être convertie en hypothèque fixe.

Dans la situation actuelle d’évolution incertaine des taux, il peut être avantageux, si on est en mesure d’assumer les incertitudes et les fluctuations liées aux taux d’intérêts du marché, d’opter pour une hypothèque SARON en attendant une baisse des taux fixes.

Il peut aussi être judicieux de fractionner son hypothèque afin de combiner les avantages des différents modèles hypothécaires (https://www.credit-suisse.com/ch/fr/articles/private-banking/hypothek-aufnehmen-so-kombinieren-sie-erste-und-zweite-hypothek-202104.html).

En cas de renouvellement de votre hypothèque, qu’il s’agisse d’une hypothèque fixe ou SARON, vous pouvez demander une mise à jour de votre dossier. Nous vous conseillons de le faire uniquement dans la mesure où votre situation financière a évolué positivement. Il pourrait en résulter un taux plus favorable pour vous.

Rembourser son hypothèque ?

Si malgré tout, au vu de la récente hausse des taux, vous souhaitez rembourser votre hypothèque, sachez que dans la mesure où vous souhaitez par la suite à nouveau conclure une hypothèque, une nouvelle demande de crédit complète devra être déposée. Vous renoncerez par ailleurs à la possibilité offerte en Suisse de déduire les intérêts hypothécaires de vos revenus dans votre déclaration fiscale (ordinaire) alors que vous devrez continuer de payer la valeur locative, considérée comme un revenu.

L’avantage fiscal est à même d’atténuer l’impact de la hausse des taux et nous vous conseillons, en cas de doute quant au fait de conserver ou non une dette hypothécaire, de vous renseigner auprès d’un expert fiscal qui pourra vous aider à répondre à cette question et à déterminer votre niveau optimal d’endettement.

Conclusion

Dans un contexte d’intérêts positifs et en hausse, plusieurs facteurs sont à prendre en considération si vous envisagez de conclure ou prolonger une hypothèque. Votre décision dépendra de vos vues sur l’évolution des taux d’intérêt et de vos objectifs personnels quant à la propriété à financer, à savoir souhaitez-vous conserver le bien ou envisagez-vous une vente prochaine. Enfin, il sera important de choisir une solution avec laquelle vous vous sentirez à l’aise. Si certains seront prêts à accepter des variations de taux pour viser les meilleures conditions possibles, il sera plus confortable pour d’autres de pouvoir compter sur un budget stable durant une période définie.

Brigitte Borel, 08.06.2023